Aline Bsaibes, DG d’itk, a participé à la première table ronde de La Ferme Digitale organisée dans le cadre du LFDay.
Cette table ronde avait pour thème : « Comment l’innovation transforme l’agriculteur en acteur de la performance environnementale ? »


Aline Bsaibes, CEO d’itk, a participé à la première table ronde de La Ferme Digitale organisée dans le cadre du LFDay.

Les outils d’aide à la décision d’itk et leur impact sur la performance environnementale

Itk existe depuis 17 ans et développe des outils d’aide à la décision (OAD) pour les agriculteurs. En réalité c’est pour les différents acteurs de la chaîne de valeur agro-alimentaire même si l’utilisateur final est l’agriculteur. Cela lui permet de prendre de meilleures décisions en diminuant ses risques, pour une meilleure productivité et un meilleur impact environnemental.

Nos plateformes prennent en compte le climat, le cycle de l’eau, le cycle de nutriments et des maladies et l’impact les traitements. Elles sont utilisées soit pour prendre une décision en cours de saison, soit pour faire des simulations suivant différents scénarios climatiques ou pratiques agricoles, pour voir l’impact de ces décisions sur le rendement et l’impact environnemental.

Nous avons un impact positif sur la performance environnementale avec nos outils. Par exemple pour ce qui est de la gestion de l’eau, nous avons des outils qui permettent de gérer les apports en eau et d’économiser jusqu’à 20% des apports. Nos outils sont disponibles pour les grandes cultures avec Cropwin et en viticulture avec Vintel. D’ailleurs, notre outil d’aide à la décision Vintel a été labellisé Solar Impulse pour son impact environnemental positif et sa productivité et rentabilité apportées à l’agriculteur.

Aussi, nous avons un impact sur la performance environnementale avec nos outils permettant de gérer les fertilisations. Les OAD limitent les excès qui vont dans la nappe ou qui se volatilise dans l’atmosphère et garantissent les niveaux de rendement et le ROI.

Le troisième impact environnemental est lié aux pesticides. Nous avons des solutions certifiées écophyto, distribuées en marque blanche depuis 2012 sur la protection de la vigne, qui permettent de limiter, à leur juste nécessité, les apports en pesticide. Ces outils ont montré qu’on pouvait aller jusqu’à 40% de réduction de fongicide selon les années.

Ensuite, nos outils permettent aussi d’établir un lien entre le besoin énergétique de la plante et sa productivité, d’où notre partenariat avec Sun Agri pour le projet d’agrivoltaisme dynamique.

 

Vos outils permettent aussi d’identifier des impasses de performance, par exemple dans le vin. Est-ce que la performance environnementale se cache parfois au-delà des indicateurs évidents ?

Pour remettre les choses dans leur contexte, il y a aujourd’hui des cahiers des charges qui sont adaptés à un climat qui est en train de changer. Ces cahiers des charges sont adaptés à un ancien modèle climatique et comme le climat est en train de changer, les pratiques des appellations ne sont plus adaptées à ces changements. Avec nos outils, nous avons fait une étude qui a montré que pour arriver à la même qualité, il fallait changer les pratiques par rapport aux besoins en eau et d’itinéraire hydrique demandé de la vigne. C’est donc dans ce cadre-là que nous souhaitons avoir un impact, et ici, il y a eu une impasse sur les appellations.

Itk développe actuellement un projet sur la mesure du stockage du carbone. En quoi est-ce important ?

Nos modèles, quand ils modélisent la croissance de la plante et le cycle de ce système, modélisent également par effet secondaire le stockage de carbone qui devient aujourd’hui un sujet central. Premièrement, itk fait partie de l’initiative 4 pour 1000 qui favorise les pratiques agricoles dans l’objectif de stocker le carbone dans le sol. Par ailleurs, nous venons de valider le projet KILIMO en collaboration avec Airbus et d’autres partenaires sur l’optimisation de la production de maïs à l’échelle d’un pays africain et ceci en respectant les pratiques agricoles qui favorisent le stockage de carbone. Concrètement, lorsque nous développons un outil d’aide à la décision qui permet à l’agriculteur de décider ce qu’il veut faire pour améliorer son rendement, on prend les mesures qui, à la fois améliorent son rendement, mais aussi favorisent le stockage de carbone. Par exemple, cela consiste à préconiser et piloter l’application de fertilisants organiques, piloter une meilleure gestion de l’irrigation pour favoriser le développement des racines qui constituent elles-mêmes de la biomasse dans le sol et favorisent le stockage de carbone. Il y a aussi la gestion post-récolte des résidus qui restent sur les parcelles, mais aussi la gestion des cultures intermédiaires, c’est-à-dire ce qu’il se passe une fois que l’on a récolté nos plantes, qui elles-mêmes favorisent le stockage de carbone mais aussi la régénération des sols et la biodiversité.

Aussi, sur d’autres types de culture comme l’arboriculture, on peut gérer les couverts végétaux et leur pilotage pour améliorer le stockage de carbone et la fertilité des sols. Pour donner quelques chiffres, selon l’INRA, si ces pratiques de stockage de carbone sont mises en œuvre tel que préconisé par l’initiative 4 pour 1000, on parle d’une amélioration de 4,8 mégatonnes de plus de carbone stocké dans les sols. Cela correspond à 40% d’économie d’émission de carbone par le secteur agricole et à 7% des émissions totales en France par an.
L’impact est mesurable et ce qui reste à faire c’est la mise en œuvre. D’ailleurs nous sommes en train de travailler avec un acteur français sur la façon de mesurer de façon objective ces indicateurs-là, pour faire un label carbone et pour la monétisation de ce genre de services.

Concernant le Green Deal ou le pacte vert pour l’Europe qui est en train d’être élaboré, il vise des mesures environnementales à l’échelle de l’Europe mais n’affiche pas de volonté de soutenir la séquestration de carbone. Il parle de maîtriser les pesticides, les engrais, de passer à 25% en bio et ce à l’échelle de l’Europe. Si on garde en tête que le bio a un rendement plus faible que les cultures raisonnées, il faut quand même nourrir les européens donc nous allons devenir de plus en plus dépendants d’autres pays, comme le Brésil, qui lui déforeste pour pouvoir produire. Le Green Deal, ou le pacte vert pour l’Europe, doivent absolument inclure ces volontés de séquestrations de carbone, non seulement à l’échelle de l’Europe mais aussi à l’échelle globale, sinon nous allons juste déporter les problèmes chez les autres.

 

Aline Bsaibes, CEO d’itk, a participé à la première table ronde de La Ferme Digitale organisée dans le cadre du LFDay.

 

Le déploiement de l’agriculture de précision est freiné par le manque d’interopérabilité entre les systèmes. Pourquoi est-ce dommage pour les utilisateurs ? Comment les acteurs du secteur doivent-ils résoudre ce problème ?

Alors il y a un frein dans l’opérabilité, ce frein n’est pas technique mais il faut une vraie volonté de partager les services et surtout la donnée, cela est un réel frein. Aujourd’hui nous voyons la différence car on se développe beaucoup plus à l’export qu’en France. En effet, les acteurs, notamment aux Etats-Unis, ont compris que pour avancer vite il fallait aller chercher les « briques » chez les entreprises qui les ont développés au lieu de tout refaire de zéro. Aujourd’hui, nous avons commencé à le faire, même en France. Par exemple, chez itk nous avons une activité élevage et nous partageons toutes les données qu’on a avec le Conseil d’Elevage Laitier qui les partage avec les agriculteurs. Les agriculteurs mettent ensuite les données en parallèle avec les problèmes d’alimentation et de santé qu’ils rencontrent et c’est le fait de mettre ces données ensemble qui leur permet d’améliorer leurs décisions.

Dans la production végétale on a un frein. Nous considérons à itk que nous avons une « brique » du système. Il y en plein d’autres avec d’autres acteurs qui forment ces briques. Mais aujourd’hui, en France, chacun veut tout refaire de zéro alors qu’il suffit d’agréger ces briques qui existent sur le territoire français pour aller plus vite et plus loin.

Il y également les problèmes de partage de la donnée. Il y a une dynamique lancée par API Agro, acteur semi-institutionnel, qui est la concrétisation d’une plateforme de données initiée par l’INRA à la demande du ministère de l’agriculture. Nous sommes partenaires avec API Agro sur un programme d’investissement d’avenir retenu par l’Etat dans lequel Sun Agri est également partenaire et qui s’appelle Occitanum. D’après nous, le problème c’est que si les acteurs français de la filiale ne se disent pas qu’il faut agréger les briques existantes, la donnée de l’agriculteur sera sensible. En effet, l’agriculteur peut être réticent à partager sa donnée car il ne veut pas la partager avec ses fournisseurs et ses clients. Donc si on a un tiers de confiance comme API Agro et que les services deviennent interopérables sur cette donnée protégée et mise à disposition pour améliorer les systèmes, on ne va pas pouvoir passer à l’échelle.

Dans la situation actuelle itk va peut être vendre 100 licences, Agriconomie va pouvoir avancer, mais nous voulons vraiment accélérer, il faut agréger tout cela. De plus, une fois que l’agriculteur a une confiance sur le fait que sa donnée est bien gérée et protégée, il faut avoir des systèmes interopérables comme sont en train de faire les pays voisins. Autrement, d’autres entreprises comme nous vont continuer à aller vers des acteurs à l’extérieur de la France pour développer ces systèmes et ne pas les développer en France, car chacun veut tout réinventer de zéro.

Quelle différence entre l’initiative 4 pour 1000 et le label bas carbone ?

Le label c’est un critère en fonction d’indicateurs, pour savoir si on est respectueux, si on a stocké du carbone etc, alors que l’initiative 4 pour 1000 est là pour pousser les pratiques agricoles qui elles vont aider à ce stockage. Donc l’initiative n’est pas un label en soit.

Pour conclure, comment continuer à augmenter les performances environnementales ? Comment faciliter le déploiement des solutions ?

Alors c’est l’interopérabilité et la coopétition, on ne peut pas sur une échelle locale être en compétition tout le temps sur tous les fronts même si la compétition est souhaitable pour avancer. Le problème du passage à l’échelle nécessite réellement une coopération, une interopérabilité entre les services, des partenariats, parce que chacun de nous détient une partie de la solution. L’agriculteur aujourd’hui voit le bénéfice de chacune de ces briques, mais passer à l’échelle sur l’intégralité de ces parcelles nécessite réellement de travailler ensemble pour que les services soient interopérables.

L’agriculteur n’a pas envie de saisir ses données, plus c’est automatisable comme c’est mis sur les tracteurs, les robots, plus c’est souhaitable. La robotisation en agriculture est un domaine qui serait favorable à tout le monde, en plus de l’énergie, donc il faut que tous ces systèmes fonctionnent ensemble pour passer à l’échelle. Autrement les acteurs français vont rester à petite échelle et sur les exploitations sur lesquelles ça marche. C’est d’ailleurs comme cela que ça se passe actuellement aux Etats-Unis, car nous sommes liées avec de petites briques dans un système important qui avance. Et si en France et en Europe nous ne sommes pas dans la même perspective nous allons rester loin derrière.

 

Revoir la vidéo sur  : LFDayLive 1 : Innovation et performance environnementale (2 juin 2020)