L’adaptation des vignobles au changement climatique est un des grands défis de la viticulture mondiale. Ce sujet est particulièrement crucial en France : la qualité y est intimement liée à la notion de terroir, qui suppose une parfaire adéquation entre un type de vin, le sol et le climat où il est produit, et le mode de conduite du viticulteur. En toute logique, un changement de climat devrait donc entrainer un changement des pratiques viticoles. Dans les vignobles méditerranéens, le sujet est d’autant plus préoccupant que les conditions climatiques actuelles poussent à la production de vins plus concentrés et à fort degré alcoolique, à l’encontre de la demande dominante du marché, et compromettent l’atteinte des objectifs de rendement.

Si ces tendances néfastes sont bien ressenties empiriquement par les producteurs, leur impact restait difficile à quantifier jusqu’à présent. La modélisation agroclimatique permet maintenant de mieux chiffrer l’impact de l’évolution climatique sur la production viticole, et surtout de proposer des solutions pour s’y adapter.

La société itk, spécialiste du développement d’outils d’aide à la décision pour l’agriculture, a réalisé à titre d’exemple une étude sur l’effet du changement climatique sur le vignoble des Costières de Nîmes. Ce travail repose sur des simulations faites avec le logiciel Vintel, développé dans le cadre d’un projet collaboratif associant des équipes de l’INRA, du CIRAD, et d’IRSTEA, des caves coopératives languedociennes (Vignobles Foncalieu et Sieur d’Arques), la Chambre d’Agriculture de l’Hérault et l’Association Climatique de l’Hérault. Elle porte sur l’évolution du déficit hydrique subi par le vignoble des Costières sur une période de 60 ans (à partir des historiques de la station Météo France de Nîmes-Courbessac), et l’effet du mode de conduite de la vigne sur ce déficit.

Les résultats de la rétrospective historique, sur une parcelle non irriguée typique des Costières, sont spectaculaires :



  • Sur la période 1955/1974, le mode de conduite de l’appellation était parfaitement adapté au climat de l’époque : 6 années sur 10, le climat était optimal pour la production de vins rouges de qualité, avec un objectif de 60 hl/ha et sans irrigation. Il y avait certes 3 années sur 10 de déficit hydrique modéré, mais aussi 1 année sur 10 avec un léger excès d’eau.
  • Pendant la période 1975/1994, on observe déjà une dérive sensible : le déficit hydrique modéré devient la situation la plus fréquente (13 années sur 20), et 4 années sur 20 connaissent un déficit hydrique sévère.
  • Sur la période 1995/2014, la situation s’est encore aggravée : le déficit hydrique est devenu la situation la plus fréquente (9 années sur 20). Les conditions climatiques n’ont été favorables à l’objectif de production sans irrigation qu’une année sur 4.

Ces résultats, obtenus par les méthodes scientifiques les plus modernes, confirment que le mode de conduite traditionnel, défini empiriquement par les viticulteurs, était parfaitement adapté au climat d’il y a cinquante ans. Mais ils démontrent aussi que, dans le contexte climatique actuel, ce mode de conduite conduit à un déficit hydrique structurel, néfaste à la qualité et potentiellement au rendement. Reste « à savoir comment s’y adapter.

Comment s’adapter au changement climatique, avec ou sans irrigation ?

L’irrigation est la solution la plus immédiate pour faire face à cette évolution du déficit hydrique, mais reste un sujet controversé : à la fois parce qu’elle est contraire aux traditions viticoles françaises, mais aussi à cause de ses impacts environnementaux et des conflits qu’elle peut entrainer avec les autres usagers de la ressource en eau.  Vintel permet de chiffrer les besoins potentiels en eau pour les vignobles qui envisagent de passer à l’irrigation, mais aussi de maitriser au mieux la consommation d’eau. Grâce à la précision des résultats du modèle, et au fait qu’il donne un suivi quotidien du vignoble, Vintel permet de raisonner selon l’irrigation selon deux modes :

  • Irrigation optimale, qui vise à maintenir constamment dans un état optimal
  • Irrigation minimale, dans laquelle on ne déclenche l’irrigation qu’au moment où le déficit hydrique commence à devenir excessif

Entre ces deux modes d’irrigation, la différence de consommation d’eau est substantielle : – 58% en mode minimal (cf Tab.1).

Par ailleurs, comme le modèle prend en compte le mode de conduite de la vigne, il permet aussi de rechercher des modes de conduite qui permettraient de réduire les besoins en eau, si possible sans réduire le potentiel de rendement. Les simulations précédentes avaient été réalisées avec  un interrang de 2m, et une hauteur de végétation de 1m. D’après les simulations, le passage à un interrang de 2,5m, compensé par une augmentation de la hauteur de végétation à 1,3m, permettrait de réduire significativement la consommation d’eau : le nombre de jours en situation de déficit hydrique grave serait réduit de 40%, et la consommation d’eau en mode minimal de 37% (Tab.1). Par ailleurs, comme ce mode de conduite conserve la même surface foliaire exposée que la conduite de référence, il permet de garder le même objectif de rendement. Il faut toutefois noter qu’il n’est pas totalement conforme au cahier des charges actuel de l’appellation, pour lequel la hauteur de végétation ne doit pas dépasser 50% de la distance entre les rangs.