Les vins de Bordeaux sont-ils en danger? L’adaptation des vignobles au changement climatique est un des grands défis de la région. A la différence de la région méditerranéenne, les impacts passés étaient négligeables voir bénéfiques à la production de vin de qualité. Néanmoins les travaux actuels laissent présager une aggravation des conditions hydriques, problématique pour le maintien des critères de qualité et de rendement des vins de la région. En toute logique, l’augmentation des températures et le changement de régime des précipitations devraient ainsi entrainer une modification des pratiques viticoles. La modélisation permet de mieux chiffrer ces impacts. En ce sens, la société itk a réalisé une étude de l’effet du changement climatique sur le déficit hydrique d’une parcelle type représentative de la région de Pessac durant une période de 120 ans (1980 à 2100).

Les simulations ont été réalisées avec le logiciel Vintel, développé dans le cadre d’un projet collaboratif associant des équipes de l’INRA, du CIRAD, de l’IRSTEA, des caves coopératives languedociennes, de la Chambre d’Agriculture de l’Hérault et de l’Association Climatique de l’Hérault. Cet outil d’aide à la décision permet de suivre le statut hydrique de la vigne et la simulation de l’effet de l’enherbement sur la dynamique hydrique parcellaire. Largement répandu dans la région bordelaise, l’enherbement représente environ 80% des surfaces viticoles. L’impact de ce couvert sur l’évolution du déficit hydrique a donc été étudié d’ici à 2100, selon 3 scénarios climatiques contrastés définis par le GIEC. Par ailleurs, l’analyse de l’évolution des indices de fraîcheur nocturne (IFN) dans le mois précédant la vendange a été réalisée. Cet indice corrélé au potentiel aromatique et à la capacité de vieillissement du vin tend à évoluer dans un sens défavorable sous l’effet combiné de l’élévation des températures et de l’avancement des dates de vendanges. A terme, cette évolution de l’IFN risque d’être un problème majeur pour maintenir la typicité des vins. La partie rétrospective de l’étude montre clairement que le mode de conduite prescrit par le cahier des charges de l’appellation Pessac-Léognan convenait pour une production non irriguée sous le climat des années 1980 à 2000. Cependant la dérive climatique a depuis induit un déficit hydrique croissant (Figure.1) et met en exergue les limites du mode de conduite traditionnel. Les prédictions indiquent en effet une augmentation nette des besoins en eau d’ici 2100 (i.e. scénario A2 et A1B) pour maintenir les objectifs de production, cela quel que soit le mode de gestion des inter-rangs (Figure.2). Les effets de l’enherbement sur le déficit hydrique restent négligeables comparativement aux impacts du changement de régime des précipitations attendu d’ici 2100. Cela ne remet pas en question les effets bénéfiques annexes de tels couverts, mais souligne l’importance du développement d’autres solutions à même de contrer cette évolution du déficit hydrique. Dans ce contexte, Vintel propose de chiffrer quotidiennement les besoins hydriques des vignobles afin de maitriser au mieux la consommation en eau tout en se conformant aux obligations des appellations. Par ailleurs, un avancement des dates de vendanges de 2 semaines à 1 mois est parallèlement attendu. Ce décalage, combiné à la prévision d’une hausse des températures, engendrerait une augmentation significative de l’IFN compromettant fortement les objectifs de qualité. Il est en revanche difficile de contrer cette l’évolution à moins de recourir à des cépages plus tardifs.

Ces résultats montrent d’ores et déjà que Vintel apparait pertinent pour quantifier l’effet du changement climatique sur le statut hydrique des vignes et le mode de gestion des vignobles. Dans ce domaine, la modélisation mécaniste présente un avantage certain comparée aux mesures classiques car délivre une information continue pouvant faire l’objet d’études d’impacts à court, moyen et long terme.

Marek Duputel & Philippe Stoop